Accident lors des essais cliniques et indemnisation des victimes
February 09, 2016
Le 15 janvier 2016, nous apprenions par la presse qu’un événement dramatique venait de se produire dans le cadre d’un essai de clinique de phase 1 réalisé en France. Il s’agit du premier accident de cette gravité depuis l’essai d’une société de biotechnologie
allemande en mars 2006 lors d’un essai également de phase 1 en Angleterre. A
l’heure où nous écrivons cet article les responsabilités des différents intervenants (promoteur, CRO, CMO, …) ne sont pas connues et les enquêtes sont
en cours ; mais, quel que soit le responsable, les victimes et leurs
ayants droits demanderont à être indemnisés et les mécanismes d’assurance
entreront en jeu. Après un rappel des faits nous évoquerons les dispositifs
d’assurance imposés par la réglementation française en termes d’indemnisation
des victimes d’essais cliniques.
Le drame du 15 janvier 2016, rappel des faits
Ce vendredi 15 janvier, la presse du monde entier se faisait l’écho d’un accident survenu lors de la réalisation d’un essai de phase 1 en France.
Qui sont les acteurs ?
- Le promoteur de l’essai dont le siège est basé à Coronado au Portugal.
- La CRO (également centre de phase 1) basée à Rennes en France.
- Les participants à l’essai sont des « volontaires sains » : 116 au total dont certains se sont vus administrer un placebo.
Quel est le protocole ?
Il s’agit du protocole de phase 1 sur volontaires sains, en double aveugle, randomisée, versus placébo. Le but de cette étude est d’étudier la sécurité d’emploi, la tolérance et les profils pharmacocinétiques et pharmacodynamiques de la molécule à dose uniques croissantes, à doses multiples croissantes et les interactions avec les repas.
Pour plus d’informations, le protocole est téléchargeable sur le site de l’autorité française de santé (ANSM) : http://ansm.sante.fr
Quelle est la molécule testée ?
Il s’agit d’un inhibiteur de la FAAH (Fatty Acid Amide Hydrolase). Cette nouvelle classe chimique a vu de nombreux laboratoires pharmaceutiques déposer des brevets ces dernières années ; certains ont d’ailleurs déjà passé les tests de sécurité avec succès.
Que s’est-il passé ?
Alors que 84 volontaires avaient déjà reçu le médicament à différentes doses conformément au déroulé du protocole, un groupe de 8 nouveaux volontaires a été inclus pour tester une nouvelle dose (50 mg) ; un placebo a été administré à 2 d’entre eux. Parmi les 6 ayant reçu la molécule à l’étude, l’un a vu ses premiers symptômes apparaitre le 10 janvier et s’est retrouvé en état de mort cérébral le 11. Les autres étaient également hospitalisés les jours suivants, victimes d’effets indésirables graves (certains potentiellement irréversibles).
Et maintenant ?
Le volontaire qui était en état
de mort cérébral est malheureusement décédé et plusieurs enquêtes sont en cours
afin de déterminer les éventuelles responsabilités ainsi que les erreurs à
éviter à l’avenir.
L’indemnisation des victimes lors d’essais cliniques en France
Depuis une loi de 1988, les promoteurs réalisant des essais cliniques en France ont l’obligation de souscrire une assurance responsabilité civile ad hoc qui respecte l’ensemble des dispositions prévues au Code de la Santé Publique, ceci quel que soit le type d’essai (médicament phase 1, phase 2, …, dispositif médical, nutraceutiques, …). Ces différentes dispositions du Code de la Santé Publique font que les contrats d’assurance couvrant un essai clinique en France sont à quelques mots près les mêmes et, surtout, permettent une indemnisation facile et de qualité aux victimes ou leurs ayants droits. Voici certaines de ces dispositions :
- L’assurance est de type « responsabilité sans faute » (Art L1121-10 du CSP) : ceci signifie que contrairement à beaucoup d’autres types de litiges, si un volontaire sain ou un patient subit un préjudice du fait de sa participation à l’essai, ce n’est pas à lui de prouver la faute du promoteur (ou ses sous-traitants) mais ce sera au promoteur de prouver l’absence de faute s’il souhaite être exonéré de toute responsabilité.
- Le promoteur est considéré comme l’assuré dans le contrat d’assurance mais c’est également le cas pour tous les autres intervenants à l’essai clinique (CRO, investigateurs, CMO, …) (Art R1121-5 du CSP) : en cas de préjudice subi par un participant ceci lui permet d’avoir un unique assureur qui devra potentiellement procéder à l’indemnisation. C’est plus efficace que d’avoir plusieurs parties et leurs assureurs qui se rejetteraient tour à tour la responsabilité de l’accident.
- Des montants de garantie minimum sont obligatoires (Art R1121-7 du CSP) : les montants de garantie définis dans le contrat d’assurance ne peuvent pas être inférieurs à 1.000.000 EUR par victime et 6.000.000 EUR par protocole d’essai clinique. Ce sont des montants relativement importants au regard de ce qui se pratique dans de nombreux autres pays.
- Les exclusions figurant dans le contrat d’assurance sont limitées (Art R1121-6 du CSP).
- L’assurance couvre les réclamations bien après la fin de l’essai clinique (Art L1121-10 du CSP) : toute réclamation survenant dans un délai compris entre le début de l’essai clinique et 10 ans après la fin de ce même essai sera prise en charge par l’assureur. Ceci permet de protéger correctement les victimes qui auraient des effets secondaires importants se révélant plusieurs années après leur participation à l’essai.
- Si le promoteur et les autres intervenants prouvent qu’ils n’ont commis aucune faute ils ne pourront être tenus comme responsables mais les victimes seront quand même indemnisées (Art L1142-3 du CSP) : ceci sera possible en passant par l’ONIAM (Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux). L’ONIAM est un établissement public qui a été créé en 2002 et qui a pour mission d’organiser le dispositif d’indemnisation – amiable, rapide et gratuit – des victimes d’accidents médicaux.
Grâce à ces différentes dispositions la France est un des pays les plus protecteurs des victimes d’accidents lors d’essais cliniques.
Frédéric Nouaille
Associé, Co-fondateur i4CT